Les ateliers de Growth Hacking, que je mène avec plusieurs entreprises, m’ont donné envie de livrer une série d’articles pour raconter la réussite de certaines startups.
Beaucoup d’entreprises sont à la recherche d’UN ingrédient miracle pour réussir. Comme si un coup de baguette magique pouvait décupler l’activité de ces startups.
À chaque fois, je tiens le même discours : L’image de la réussite est erronée. On raconte tellement d’histoires à succès qu’on en oublie la réalité, comme celle de passer par de nombreux échecs, de tests et de remises en question. Tout le monde recherche le « hack magique » ou la martingale pour faire exploser son acquisition. Mais cette vision est fausse. Bien entendu, il peut y avoir des coups de pouces du destin, de bonnes idées à un instant T, mais la réussite est l’addition de multiples opérations effectuées de façon opportune sur la durée.
Grâce à cette série, je voudrais vous montrer TRÈS CONCRÈTEMENT comment des entreprises ont su construire les tractions nécessaires à leur acquisition et non « réussir des coups ».
Après avoir raconté l’aventure de Comet, puis celles de Toucan Toco et de Swile, je me penche aujourd’hui sur les raisons du succès d’Ilek, un fournisseur français d’énergie verte qui figure aujourd’hui parmi les plus importants de son secteur.
Ilek est née en 2016 des efforts conjugués de Julien Chardon et de Rémy Companyo. L’un est ingénieur spécialisé en énergie, l’autre entrepreneur dans l’agro-alimentaire. Ils se rencontrent en 2015 et décident rapidement de s’associer pour transformer le marché de l’énergie en France.
Conscients de l’importance des sujets environnementaux, et convaincus que le grand public devrait se montrer de plus en plus sensible à ces problématiques, ils décident de révolutionner le marché de l’électricité en proposant aux Français une offre d’énergie écologique et locale, au prix juste.
Cela peut paraître assez banal aujourd’hui. Mais c’était une idée novatrice en 2016, car les sujets environnementaux appartenaient alors à un petit nombre d’acteurs militants dont les messages atteignaient rarement les consommateurs. Ce pari se révèle gagnant : après un démarrage modeste, Ilek connaît une belle croissance et compte 100 000 clients début 2021.
L’ambition des fondateurs ne s’arrête pas là, puisqu’ils visent les 500 000 utilisateurs d’ici 2025. Pour atteindre cet objectif, ils entendent continuer à innover, tout en renforçant les stratégies qui font leur succès depuis 2016 : un parti pris écologique démontré, des messages conçus pour rassurer et convaincre, une humanisation inédite de la production d’énergie, et un service client de compétition.
Se lancer sur le marché de l’énergie : un pari risqué ?
Une start-up peut-elle espérer réussir dans le secteur de l’énergie ? A priori, ce n’est pas évident : la distribution d’électricité et de gaz est généralement l’apanage de grands groupes qui bénéficient de moyens importants et d’une forte notoriété auprès du grand public. En 2016, l’année de la création d’Ilek, le marché français est ainsi largement contrôlé par les géants EDF et Engie.
Cependant, de nouveaux acteurs s’octroient une part croissante de la clientèle, encouragés par la libéralisation du secteur et la déréglementation des tarifs de distribution. Parmi ceux-ci se trouve Enercoop : une coopérative créée en 2005 qui propose une énergie issue à 100% de sources renouvelables, et dont la part de marché, bien que modeste à 35 000 clients en 2016, progresse régulièrement.
En effet, la pérennité d’un modèle comme Enercoop leur montre que le choix d’une énergie 100% renouvelable peut exister face aux grands groupes historiques : les modèles alternatifs peuvent être économiquement viables. En outre, Rémy et Julien estiment que la demande pour une énergie verte ne peut que grandir, poussée par les progrès de la tendance écologiste. Cette vision tient alors largement du pari, car elle se fonde sur des signaux qui restent assez faibles à l’époque : bien que l’urgence environnementale soit clairement identifiée (la COP21 de Paris ayant eu lieu en 2015), la majorité des particuliers n’a pas encore pris conscience du rôle que chacun peut jouer dans la transition écologique. Aujourd’hui, ce pari est gagné, mais c’était une prise de risque en 2016.
Les cofondateurs font trois choix importants pour concevoir et différencier leur projet :
- ils optent pour un approvisionnement en électricité auprès de sources locales,
- ils s’inspirent de l’univers start-ups (plutôt que de celui des coopératives) et notamment de celles qui évoluent dans des secteurs réglementés comme les télécoms, les banques, les assurances et la santé,
- ils décident de concevoir un service qui donne un nom et un visage à chacun de leurs fournisseurs d’électricité, et permet aux clients de sélectionner celui dont ils achètent l’énergie. Cette humanisation est absolument nouvelle dans le secteur et fonde une bonne part de l’identité d’Ilek. Elle est notamment mise en avant par une série de vidéos qui donne la parole aux producteurs
Les premières acquisitions : identifier les partenaires, cibler les personas
Les premiers mois de travail sont consacrés à trois tâches : la rencontre de producteurs français d’électricité issue de sources renouvelables (c’est à dire provenant d’éoliennes, de panneaux solaires ou d’installations hydroélectriques) dans des salons ou via le bouche-à-oreille, la contractualisation formelle avec eux, et la mise en place d’un site fonctionnel sur lequel les premiers clients peuvent s’inscrire.
En parallèle, les deux cofondateurs réfléchissent à leur marque, leur notoriété et leur persona. Qui est le client potentiel d’Ilek ? A l’époque, la réponse s’impose : il faut cibler la sphère des écologistes convaincus, sans distinction d’âge ou de localisation géographique. Ce sont eux qui peuvent, les premiers, être sensibles au projet Ilek.
Chercher à atteindre sa cible : un travail en continu
L’identification du persona permet à Rémy et Julien d’engager des efforts de notoriété soigneusement ciblés. Pour faire connaître la marque Ilek auprès des écologistes, il doivent prouver leur sérieux sur les sujets locaux et environnementaux. A cette fin, ils prennent contact avec des influenceurs du secteur : des journalistes, des blogueurs, mais aussi des comparateurs engagés.
En 2016, ils bénéficient d’un article dans La Dépêche, le quotidien toulousain. Début 2017, ils apparaissent dans l’outil de comparaison de l’UFC-Que Choisir. Fin 2017, ils entrent en partenariat avec WWF pour atteindre les particuliers qui gravitent autour de cette ONG. Ces canaux leur permettent d’acquérir leurs premiers clients.
A côté de ces stratégies de presse et de partenariats, les premières années sont aussi celles du test-and-learn des canaux d’acquisition digitale. Les co-fondateurs s’essayent à toutes les méthodes: utilisation du SEA autour de mots-clés liés à l’énergie verte et à l’écologie, création de landing pages qui mènent au formulaire d’inscription, premiers articles de blog, visibilité sur Facebook, etc. “On a tout tenté pour se faire connaître”, se souvient Rémy.
Au cours de ces différentes expérimentations, ils apprennent à affinent leur message et déterminent les principes suivants :
- éviter la culpabilisation : mieux vaut communiquer sur les mérites de l’énergie verte que de lister les effets néfastes des énergies fossiles ;
- faire la pédagogie de leur projet, en axant la communication sur l’aspect humain d’Ilek : qui sont leurs fournisseurs, quelles sont leurs valeurs, etc ;
- rassurer sur le sérieux de l’entreprise et la pérennité de l’approvisionnement. Les particuliers ne souhaitent évidemment pas subir des coupures d’électricité, il faut donc adopter des messages qui inspirent confiance et montrent la fiabilité d’Ilek.
Ces essais permettent enfin aux co-fondateurs de comprendre graduellement quand atteindre leur client potentiel. Ils se rendent compte que la plupart des inscriptions ont lieu à l’occasion d’un déménagement, c’est-à-dire lors du moment où le particulier choisit son fournisseur aussi rapidement que possible pour éviter la coupure de courant. Ce moment est très court : il est donc essentiel que l’individu connaisse Ilek en amont de son changement de domicile. D’où l’importance de figurer en bonne place dans les comparateurs et dans les avis des influenceurs. Ce sont d’ailleurs les canaux d’acquisition qui fonctionnent le mieux : Rémy et Julien veillent donc à maintenir les efforts sur ce plan.
Un parcours d’inscription cohérent et rassurant
Le site d’Ilek accorde une place de choix aux éléments conçus pour rassurer le consommateur potentiel lors de sa première visite. En effet, les co-fondateurs sont conscients de la barrière psychologique importante qui peut empêcher un individu de changer de fournisseur d’électricité, et surtout de faire confiance à une entreprise relativement petite et peu connue.
Ces éléments comprennent notamment :
- des mentions qui inspirent confiance : des vrais avis d’utilisateurs, une revue de presse qui cite des titres prestigieux (La Tribune, Les Echos…) et mentionne le classement de Greenpeace, le numéro et les horaires du service client… L’idée est de convaincre le visiteur que l’écosystème Ilek est solide et fiable.
- une page détaillée sur l’ambition carbone de la société, pour rassurer le visiteur sur la sincérité de la démarche d’Ilek
- un parcours d’inscription extrêmement simple et accompagné, pour guider le client potentiel à chaque pas et le convaincre qu’Ilek saura prendre ses besoins en compte. Les visuels simples et conviviaux participent à cette démarche.
S’adapter quand la cible s’élargit soudain
En octobre 2017, l’ONG Greenpeace publie un classement des meilleurs fournisseurs d’énergie verte en France. Ilek figure parmi les trois premiers. Ce palmarès est très relayé dans la sphère écologiste, avec plus de 200 articles en un mois. La start-up réagit avec un article sur son blog et mentionne le classement dans ses funnels de vente. Le trafic sur le site augmente considérablement. “C’est une étape que nous n’avions pas prévue, mais qui a positionné Ilek dans le paysage français, estime aujourd’hui Rémy. Soudain, le téléphone s’est mis à sonner sans arrêt.”
Ce classement signale en outre un tournant dans le marché : l’énergie verte devient soudain un sujet qui intéresse les consommateurs au-delà de la sphère écologiste. Les clients potentiels deviennent plus nombreux, et le palmarès Greenpeace aide à les capturer. Fin 2018, Ilek compte 15 000 abonnés.
Faire évoluer le persona
Il est donc temps de repenser le persona initial. La cible n’est plus seulement composée d’écologistes engagés, mais inclut à présent la population croissante des individus sensibilisés aux sujets environnementaux, et notamment les jeunes urbains informés sur ces questions.
L’équipe d’Ilek décide de modifier sa communication pour atteindre ce nouveau public. Elle profite notamment de l’intérêt soudain des grands médias pour les questions “vertes” pour lancer des campagnes de relation presse plus “grand public” qu’auparavant, par exemple dans le magazine Challenges.
Le SEA est plus systématiquement utilisé : il fonctionnait assez peu avant le classement, mais devient efficace dans les mois qui suivent, grâce à la notoriété naissante. Le coût des mots clés liés à la fourniture d’énergie verte augmente d’ailleurs au cours de cette période. Ilek crée plusieurs dizaines de landing pages qui invitent l’utilisateur à évaluer sa consommation d’énergie et à laisser son adresse email.
Sur les réseaux sociaux, Ilek renforce sa présence sur Facebook via des Facebook ads, en visant la population des actifs qui montrent une appétence à l’écologie. L’équipe investit aussi Instagram pour toucher des cibles plus jeunes, en misant sur des influenceurs plutôt que de créer une communauté en propre : elle a en effet constaté que peu de gens suivent le compte de leur fournisseur d’électricité, même s’il est plus jeune et sexy qu’EDF. Ce principe est également appliqué à YouTube, où des annonces bien placées s’avèrent plus efficaces que des vidéos propriétaires. La chaîne YouTube et le compte Instagram de la start-up comptent d’ailleurs relativement peu d’abonnés.
Si ces canaux d’acquisition favorisent la croissance d’Ilek, il apparaît que les leviers les plus efficaces restent la notoriété globale (qui favorise une visite directe sur le site) et le bouche-à-oreille. Les budgets investis en SEA et autres annonces restent donc modérés. Quant à la présence sur LinkedIn et à la rédaction de contenu, ce sont des stratégies réservées au volet B2B de l’activité, c’est-à-dire à la conquête de nouveaux fournisseurs en électricité verte.
Plus récemment, Ilek a mis en place une stratégie de réexamen régulier des personas à cibler. En interviewant plusieurs fois par an, quelques dizaines de clients triés sur le volet, l’équipe marketing identifie les différents profils d’utilisateurs et la perception que chacun a de la marque. Cela permet de constamment adapter les modes et messages de communication, avec l’objectif de chercher en permanence à atteindre la cible “d’après”. Ce travail mené simultanément sur le persona actuel et sur le persona projeté est un levier important de croissance.
Une vision radicale du service client
Dès ses débuts, l’équipe d’Ilek accorde une grande importance au service client. Pendant la première année, les questions des usagers sont traitées directement par les fondateurs et les premiers employés. Avec l’augmentation de la clientèle se pose la question suivante : faut-il externaliser cette fonction ?
Après avoir examiné les différentes options de sous-traitance, les fondateurs décident de garder la main sur le service client. Ils entendent l’utiliser non seulement comme un outil central de la relation client, mais aussi comme un moyen d’améliorer constamment leur communication, et même de faire évoluer les services proposés par Ilek. Leur logique : le service client ne doit pas être une source de coût, mais comme une force et un élément de différenciation par rapport à la concurrence.
Chaque employé est dès lors tenu de passer une demi-journée par mois à répondre aux demandes des clients. Les questions ou messages des utilisateurs font l’objet d’ateliers thématiques qui rassemblent des responsables clients, des développeurs et des marketeurs. Cela crée des synergies fortes et une relation de proximité constante avec les usagers qui est aujourd’hui l’une des marques de fabrique d’Ilek. Cela favorise le bouche-à-oreille, déjà identifié comme un canal essentiel d’acquisition, et permet de conserver un churn relativement bas.
Sortir du digital
Fin 2019, la start-up réussit sa première levée de fonds et réunit un total de 6 M€ apportés par Alter Equity, Kima Ventures et Bpifrance.
Les co-fondateurs décident d’utiliser cette somme pour structurer la société et pour passer à la vitesse supérieure en termes de notoriété avec le lancement d’une campagne de publicité à la télévision. Ce n’est pas une décision évidente, car ils sont conscients que le retour sur investissement ne sera pas calculable précisément ni visible immédiatement. Ils profitent toutefois d’une chute des prix sur le marché publicitaire pendant le premier confinement de mars 2020.
Le nombre d’inscriptions n’augmente pas tout de suite après cette campagne, mais le trafic double sur le site et les co-fondateurs sentent que la notoriété a augmenté. “Avec cette campagne, on a vraiment monté une marche”, estime Rémy. Il reste modeste : “On est pas encore très connus, mais on est pas à zéro, ce qui est déjà bien sur ce marché.” Au terme du premier confinement, Ilek compte 80 000 abonnés, ce qui correspond à ses objectifs malgré le contexte économique difficile.
En mars 2021, Ilek lance une deuxième campagne de publicité télévisuelle qui a pour objectif de dénoncer le greenwashing dans le secteur de l’énergie : c’est une manière de renforcer l’image verte de la marque et de se différencier de certains concurrents.
Faire grandir une start-up : ce que nous apprend l’expérience d’Ilek
Ilek s’est progressivement imposé comme l’un des meilleurs fournisseurs d’énergie verte de France. Cette jeune pousse toulousaine connaît aujourd’hui une croissance régulière sur un marché pourtant largement verrouillé par les grands opérateurs.
Pour moi, leur histoire suggère les leçons suivantes :
- La construction d’une notoriété est un effort ciblé et rythmé. Il aurait été absurde pour Ilek de tenter des communications grand public trop tôt. Améliorer la notoriété ne signifie pas de créer un bruit médiatique et publicitaire mais produire une résonance. La notoriété vient alimenter la croissance organique comme elle s’en nourrit. On observe d’ailleurs avec Ilek que la notoriété favorise l’efficacité des campagnes payantes.
- Convaincre des utilisateurs est un habile défi qu’il convient d’aborder avec humilité et empathie. Ilek a su s’appuyer sur des leviers inhérents aux contraintes de ces différents persona.
- Le client type d’une start-up évolue avec le temps et les tendances, surtout en B2C : il est essentiel de suivre ces évolutions…. et de préparer celles qui arrivent en repérant les signaux faibles. Le persona est une donnée changeante !
- Comme pour beaucoup d’entreprises de l’écosystème FrenchTech 120, le service client est un facteur important de valeur ajoutée et de viralité, et non un centre de coût.
- En B2C, un investissement en publicité TV peut s’avérer déterminant, car il est susceptible d’avoir un impact fort sur la notoriété de la marque auprès du grand public.